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ANALYSE

Sénégal/Mali : Pourquoi nos « diambars » ne devaient pas y aller


Alwihda Info | Par Mamadou Oumar NDIAYE - JOURNAL LE TEMOIN - 20 Janvier 2013



Mamadou Oumar NDIAYE - « Le Témoin » N° 1111 –Hebdomadaire Sénégalais ( JANVIER 2013)

Pendant que le capitaine Amadou Haya Sanogo et sa camarilla se la coulent douce à Kati et que les hommes politiques maliens se disputent des postes à Bamako, le président de la République choisit d’envoyer nos troupes se battre pour libérer le Mali. Une erreur lourde de conséquences pour notre pays !

Le président de la République a donc décidé d’engager notre Armée dans la guerre contre les terroristes islamistes qui occupent le Nord du Mali depuis mars dernier. Une guerre menée au nom de la nécessité de préserver l’intégrité territoriale de ce pays voisin du nôtre. Plus exactement, il s’agit de rétablir la souveraineté du gouvernement « légitime » — si tant est qu’un tel pouvoir existe à Bamako — sur les deux tiers de son territoire aux mains de groupes islamistes comme Ansar Dine, le Mujao (Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest) et Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI). Une guerre menée aussi par nécessité de solidarité avec un peuple frère mais aussi pour garantir la sécurité nationale, comme l’a expliqué le ministre des Affaires étrangères, M. Mankeur Ndiaye, lui-même ancien ambassadeur du Sénégal à Bamako.

Après la Gambie en 1981 et la Guinée-Bissau en 1998—l’opération « Tempête du désert », dans le Golfe constituait un cas particulier — , c’est donc la troisième fois que l’Armée nationale va devoir faire la guerre à l’extérieur de nos frontières. Ce même si la Gambie se trouve en fait à l’intérieur du territoire national. Dans ces deux pays, il s’agissait de rétablir au pouvoir des présidents de la République élus démocratiquement et renversés par leurs armées ou devant faire face à une mutinerie. Précisons qu’en Gambie, en 1981, il n’y avait pas à proprement parler de forces armées, mais plutôt des « field forces », c’est-à-dire une sorte de police. Dans ce pays, les « Jambaars » devaient faire face à une rébellion menée par Kukoï Samba Sanya, un guérilléro formé en Libye et armé par ce pays. Il n’y avait donc pasune armée régulière en face du corps expéditionnaire sénégalais.

En Guinée-Bissau, c’est une partie de l’Armée, emmenée par l’ancien chef d’état-major, Ansoumana Mané, qui s’était mutinée et avait entrepris de renverser le président Joao Bernardo Vieira. Lequel accusait Mané et quelques comparses d’alimenter un trafic d’armes en direction du mouvement indépendantiste casamançais, le Mfdc, dont la Guinée-Bissau était, justement, la principale base arrière. Les forces sénégalaises étaient donc intervenues pour combattre ces mutins — appuyés par des combattants du Mfdc — et sauver le pouvoir du président Vieira. La Guinée-Bissau ayant conquis son indépendance à l’issue d’une guerre de libération nationale menée sous l’égide du PAIGC (Parti africain pour l’Indépendance de la Guinée-Bissau et des Iles du Cap-Vert) contre l’armée coloniale portugaise, elle avait donc acquis une redoutable expérience au combat. Les militaires guinéens étaient aguerris et disposaient d’un bon armement. C’est pourquoi, ils ont donné bien du fil à retordre à nos soldats qui ont failli s’enliser si la Cedeao n’avait pas volé à leur secours.

Mais, bien évidemment, ces deux « petites » guerres sont une partie de plaisir par rapport à la pétaudière malienne. Là, il s’agit de se battre contre des terroristes islamistes dont certains ont fait leurs armes en Afghanistan, en Somalie, en Algérie et partout ailleurs où l’Internationale islamiste s’est déployée. Beaucoup d’entre eux faisaient partie de la fameuse Légion islamique du Colonel Kadhafi en Libye et on trouve aussi en leur sein d’anciens guérilléros du Front Polisario qui viennent des camps de Tindouf. Ces combattants, qui connaissent le désert comme leur poche et s’y meuvent comme des poissons dans l’eau, sont aussi lourdement armés. Après la chute du régime libyen, en effet, leurs chefs ont cambriolé les arsenaux de ce pays et disposent donc d’armes extrêmement sophistiquées, toute la question étant de savoir si ces armes sont bien entretenues, si les pièces de rechange sont disponibles et si les soldats d’Ansar Dine, du Mujao ou d’AQMI peuvent les utiliser. Mais une chose est sûre : ces islamistes, ce sont de redoutables combattants. A preuve par la manière dont ils ont défait l’armée malienne en mars dernier en réussissant, au terme d’une « blitzkrieg » (guerre-éclair) à s’emparer des trois départements du Nord de ce pays que sont Tombouctou, Kidal et Gao. Plus exactement, ce sont les combattants touaregs du MNLA (Mouvement national pour la Libération de l’Azawad) qui ont conquis ces départements avant d’être défaits à leur tour par les groupes islamistes, notamment Ansar Dine, le Mujao et Aqmi. Ces divers groupes, qui avaient infligé une raclée mémorable à l’armée malienne qu’ils avaient mise en débandade, ne sont pas constitués par des enfants de chœur, c’est le moins qu’on puisse dire.

Par conséquent, envoyer des troupes sénégalaises pour les combattre, c’est une décision lourde de conséquences. Le Nord Mali est très vaste, désertique, et les terroristes islamistes sont très bien entraînés et lourdement armés. Ils ont l’avantage de la connaissance du terrain.

Surtout, et c’est là le plus important, quelle idée d’envoyer nos « Diambars » combattre dans un pays dont l’Armée a pris ses jambes à son cou et s’est honteusement déculottée dès les premiers combats contre les islamistes ? Logiquement, en effet, toute intervention de ce genre doit consister à venir en soutien à l’armée du pays envahi, laquelle doit se trouver en première ligne pour mener le combat, les forces venues prêter main-forte devant se contenter de sécuriser les localités libérées. Or, encore une fois, au Mali, l’armée n’existe plus. Ce qui en reste, sous l’égide du fantasque capitaine Amadou Haya Sanogo, passe son temps à manipuler le pouvoir en place à Bamako. Et ce après avoir dirigé directement le pays au lendemain du coup d’Etat du mois de mars dernier. Plutôt que d’aller combattre les rebelles au Nord de leur pays, Haya Sanogo et compagnie se délectent plutôt à nommer et révoquer des Premiers ministres, des ministres et à se partager privilèges et prébendes. Mieux, le pays ne dispose pas de pouvoir politique légitime, le président par intérim — ou de transition, c’est selon —, M. Dioncounda Traoré n’étant à l’évidence pas pressé d’organiser des élections pour céder le pouvoir. Quant au reste de la classe politique, il se livre à une foire d’empoigne permanente. Le bon sens aurait voulu, face à un contexte aussi grave que l’occupation des deux tiers du pays par des forces étrangères, que la classe politique se ressoude pour faire front face à la menace. Pensez-vous, elle choisit de s’étriper de plus belle et à se disputer postes et avantages ! C’est bien simple d’ailleurs : avant, lorsque le pouvoir central exerçait son emprise sur l’étendue du territoire, le gouvernement malien comptait 25 ministres. Après l’amputation des deux tiers de ce territoire, il en a 30 ! Trente ministres pour gérer un tiers du territoire, il fallait le faire…

C’est donc à ces irresponsables, et à cette armée de soudards en débandade, dont on nous expliquait qu’elle ne pourrait faire la guerre qu’à condition qu’elle soit restructurée — et l’Union européenne avait d’ailleurs décidé d’y envoyer 400 à 500 instructeurs, tous sous les ordres d’un général français — à ces irresponsables et ces poltrons, donc, que l’on nous demande de porter secours en leur envoyant nos soldats.

Or, encore une fois, non seulement tout le monde sait que l’armée malienne n’est pas en état de combattre, mais encore les contingents des autres pays africains non plus ne le sont pas. Tous préparaient leur montée en puissance pour être pleinement opérationnels au mois d’août prochain, terme prévu par M. Romano Prodi, l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations-unies, M. Ban Ki Moon, pour le début de l’intervention militaire au Mali. Tout le monde aura d’ailleurs constaté l’espèce d’embarras qui s’est emparé de l’état-major sénégalais à l’annonce par la France de la nécessité d’envoyer bien vite des troupes au front. Car ça commence à faire mauvais genre cette intervention de la France qui prétend venir soutenir une force africaine … et qui se retrouve seule au front à bombarder les positions des combattants islamistes ! Pour faire illusion, elle a bien fait dire par ses médias, dès le début de son intervention, que des troupes sénégalaises et nigérianes étaient déjà au front mais tout le monde savait que c’était faux ! Pour ne pas donc trop donner l’impression d’une nouvelle guerre coloniale — c’en est une effectivement, quelle que soit la noblesse de la cause — la France socialiste du président Hollande presse donc nos armées de hâter le pas et de rejoindre bien vite ses troupes au Mali où elles font le coup de feu face aux terroristes islamistes. Et ce même si quelques militaires maliens ont été envoyés au front pour faire décor local. Certes, les Nations Unies ont voté une résolution — la 20/85 du 20 décembre dernier — pour autoriser une intervention internationale au Mali mais, pour l’heure, c’est la France qui mène sa guerre dans ce pays situé à l’est du Sénégal. Le président Nicolas Sarkozy avait eu sa guerre en Libye où il avait détourné une résolution des Nations-Unies pour renverser et tuer le colonel Mouammar Kadhafi ? Ses hélicoptères avaient bombardé le palais du président Laurent Gbagbo et ses chars encerclé ce lieu symbole du pouvoir ivoirien avant que les militaires français n’arrêtent l’occupant des lieux et le remettent aux combattants des Forces nouvelles ? Eh bien, François Hollande aussi fera la guerre en Afrique pour montrer que lui aussi est un homme d’Etat, un vrai. Surtout que la cause pour laquelle il combat est noble.

Le problème c’est qu’une telle guerre, ce sont les Africains qui auraient dû la mener. Hélas, plus d’un demi-siècle après nos indépendances, nos armées sont encore incapables de défendre nos territoires et nous sommes toujours obligés de faire appel à l’ancien colonisateur pour nous défendre. Honte, honte à nos dirigeants politiques, honte à nos militaires qui ont lamentablement échoué à nous défendre, ne pensant qu’à voler et à s’enrichir… Nos armées n’ont pas leurs pareilles pour parader ou pour massacrer les populations civiles mais pour défendre nos territoires... Elles n’ont pas leurs pareilles, non plus, pour prendre le pouvoir comme l’a fait en mars dernier le pitoyable Amadou Haya Sanogo au Mali. Donnant du coup l’occasion à la France de venir encore une fois montrer qu’elle reste une grande puissance… militaire. Car pour le reste… Fallait-il envoyer nos « diambars » combattre au Mali ? Pour nous, la réponse est « non ». Nous sommes certes conscients d’être terriblement minoritaires en soutenant une telle position mais voilà : Au « Témoin », nous ne hurlons jamais avec les loups. Surtout que des officiers, et pas des moindres, avec qui nous avons discuté, nous ont dit ne pas être particulièrement chauds pour aller faire la mitraille du côté de Tombouctou, Gao ou Kidal… alors que les militaires maliens eux-mêmes n’ont pas été foutus de défendre leur territoire !

Mamadou Oumar NDIAYE
« Le Témoin » N° 1111 –Hebdomadaire Sénégalais ( JANVIER 2013)




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